[Ce travail d’étude et de recherche a été élaboré au cours de l’année scolaire 2017-2018 par 5 étudiants de L3 en Psychologie sociale de l’Université Paris Nanterre – UFR SPSE : Vanessa Caupenne, Nicolas Maurincic, Antoine Mussard, Michael Rose et Elyne Vila Nova. Il a été supervisé par Monsieur Zerhouni. La publication des résultats de ce travail a été autorisée par les auteurs de cette recherche].

L’Effet de Halo, un biais perceptif qui pousse les individus à évaluer qu’une tablette de chocolat issue de l’agriculture biologique renfermait moins de calories qu’une tablette de chocolat issue d’une production industrielle !

I/ Introduction

L’effet de halo est un biais cognitif résultant d’une évaluation tendancielle de l’évaluateur à prendre en compte l’impression initiale globale d’une cible sans en distinguer les attributs spécifiques et potentiellement indépendants (Leuthesser, Kohli et Harich, 1995). Cet effet fut démontré pour la première fois par le psychologue américain Solomon Asch en 1946.

Par exemple, Nisbett et Wilson (1977) ont démontré que lorsqu’un instituteur a une allure avenante, ses étudiants évaluent son comportement, ses gestuelles et sa façon de parler comme étant positifs, et inversement quand il a une allure distante et froide.
Dans une étude menée par Schuldt, Muller et Schwarz (2012), lorsqu’un produit – en l’occurrence du chocolat – est étiqueté « commerce équitable », il y a une évaluation erronée des calories estimées si on le compare avec un chocolat n’ayant pas ce type de label.

Dans cette étude, le chocolat étiqueté « commerce équitable » a été évalué comme moins calorique, alors que ce n’est pas forcément le cas.

Chandon et Wansink (2007) ont par ailleurs identifié un tel effet lors d’une étude comparant les sandwichs des franchises McDonald’s et Subway : cette dernière étant considérée comme plus saine (ses actions marketing allant dans ce sens), ses sandwichs ont été évalués à tort par les participants comme étant moins caloriques et plus sains.
Zeithaml (1988) postulant qu’un produit peu calorique est associé à un produit de qualité nous en déduisons que l’effet de halo santé influence la qualité perçue d’un produit.
Scitovszky (1944)  avance quant à lui qu’un produit mis au rabais est perçu comme de moindre qualité qu’un produit plus cher. Le prix a également une influence sur la qualité perçue du produit labélisé (Peterson et Jolibert, 1976).

Or dans son article, Zeithaml (1988) soulève cependant un problème. D’après elle, les études tendent à s’opposer ou à se décrédibiliser de par leurs méthodologies douteuses. L’auteure estime toutefois qu’un lien semble exister, que son existence ne serait pas impossible, mais que le prix aurait un effet bien moindre sur la qualité perçue que l’emballage, le nom de la marque ou l’image du magasin.

Cependant Rao et  Monroe (1989) ont démontré que le prix avait une influence plus significative que le nom du magasin sur la qualité perçue du produit.
Se basant sur ces études, nous proposons d’intégrer le prix qui agirait comme un modérateur de l’effet de halo.

De ce fait, nous avons formulé l’hypothèse générale selon laquelle la vision du prix influencerait l’effet de halo par rapport aux calories perçues d’un chocolat étiqueté « certifié agriculture biologique ».
Nous avons formulé les 3 hypothèses opérationnelles suivantes :

  • HO1 : un chocolat “certifié agriculture biologique” sera estimé comme étant moins calorique qu’un chocolat qui n’est pas “certifié agriculture biologique” au même prix.
  • HO2 : un chocolat dont le prix est élevé sera perçu comme étant moins calorique qu’un chocolat dont le prix est bas, si les deux ont la même certification.
  • HO3 : la conjonction des effets des deux variables (prix x certification) va les amplifier : un chocolat “certifié agriculture biologique “et cher sera estimé bien moins calorique qu’un chocolat pas “certifié agriculture biologique” et peu cher, l’écart entre ces deux chocolats sera plus important que celui observé dans les deux premières hypothèses.

II/ Méthode

Participants et conception

Nous avons sélectionné et réparti en quatre conditions un échantillon de 242 participants (n=242) de manière aléatoire. Leur âge ne nous semblait pas être une information utile car nous avons estimé que la consommation du chocolat était intergénérationnelle. Egalement, le sexe des participants ne nous paraissait pas pertinent à prendre en compte.
Pour la conception du matériel, nous nous sommes basés sur l’hypothèse déjà existante de Schuldt, Muller et Schwarz (2012). Une réplication conceptuelle de celle-ci à été utilisée dans notre recherche car nous avons ajouté le modérateur “prix”.

Le plan expérimental était le suivant : 2 (Présence du label : oui vs non) x 2 (Prix : cher vs pas cher), inter-sujets. Ainsi, les variables indépendantes étaient provoquées et qualitatives, et notre variable dépendante “score à l’échelle” était quantitative.
La première condition (n=50) traitait d’une “tablette de chocolat chère issue de l’agriculture biologique”, la seconde (n=55) s’articulait autour d’une “tablette de chocolat pas chère issue de l’agriculture biologique”. Pour la troisième (n=87), la condition était “tablette de chocolat chère n’étant pas issue de l’agriculture biologique”, finalement, pour la dernière (n=50), nous avons analysé les réponses à la condition “tablette de chocolat pas chère n’étant pas issue de l’agriculture biologique”.
Suivant la théorie de Simmons (2013) qui postule qu’une puissance statistique nécessite un minimum de 50 participants par condition, nous en avions ciblé au moins 50 par groupe. Chaque personne de notre groupe était assignée à un questionnaire afin de le faire circuler en ligne dans son cercle de contacts, avec pour seule condition de n’avoir pas fait d’études de psychologie.

Procédure et mesures

Chaque participant a répondu à un questionnaire en ligne qui lui a été assigné conformément à son groupe. Tous les questionnaires ont été conçus de la même manière, seule la question différait selon la modalité étudiée.
Ainsi, pour le groupe A, la phrase de présentation était “Cette tablette de chocolat coûte 5€28 et fait partie de l’agriculture biologique”.
D’un groupe à l’autre, le prix changeait ainsi que la précision du label “agriculture biologique”.
Les participants devaient alors compléter la phrase “Le chocolat est…” grâce à une échelle de Likert allant de 1 à 7 : 1 étant “pas du tout calorique” et 7 “extrêmement calorique”.
Afin d’éviter tout biais, chacun des questionnaires était accompagné de la même photo représentant une tablette de chocolat.
A la fin du questionnaire, il était possible pour les participants d’ajouter une remarque concernant ce dernier.

III/ Résultats

Afin d’exploiter nos données nous avons effectué une analyse de variance de type ANOVA dans l’objectif de comparer les moyennes de 4 groupes distinct.
Dans la VI « présence du label », la modalité « OUI » est codée par « 1 » et la modalité « NON » est codée « 2 ». En ce qui concerne la VI « prix », la modalité « cher » est codée « 1 » et la modalité « pas cher » est codée « 2 ».
Une analyse de régression linéaire (se référer au tableau et graphique n°1) nous a alors permis de mettre en évidence un effet principal du label, F(1,238)=10,3207, p=0,001 et celle-ci explique 0,4% de variance spécifique dans l’estimation des calories attribuées aux chocolats.
Une analyse de régression linéaire (tableau et graphique n°1) n’a pas permis de mettre en évidence un effet principal du prix, F(1,238)=0,0349, p=0,852.
Une analyse de régression de la variance (tableau et graphique n°1) n’a pas permis de mettre en évidence un effet d’interaction entre la VI label et la VI prix, F(1,238)=1,5181, p=0,219 et celle-ci n’explique que 0,06% de variance spécifique dans l’estimation de calories attribuées aux chocolats.
Après avoir fait une régression linéaire on peut observer sur le graphique N°2 que l’analyse résiduelle de la variable prix n’est pas également distribuée.

IV/ Discussion

A partir des résultats de cette étude :

  1. l’hypothèse HO1 est validée. En effet nous pouvons confirmer l’effet de halo d’un label vu positivement (ici « agriculture biologique ») sur la perception de la qualité nutritionnelle (le nombre de calories, pour simplifier) d’une tablette de chocolat. Les participants de l’étude ont en effet largement estimé qu’une tablette de chocolat issue de l’agriculture biologique renfermait moins de calories qu’une autre tablette de chocolat issue d’une production industrielle.
  2. L’hypothèse HO2 ne peut être validée, l’effet principal du prix n’étant pas significatif. Nos suppositions étaient celles-ci : un prix élevé pousserait les participants à estimer le chocolat moins calorique, tandis qu’un prix bas leur ferait se dire que ce chocolat est de mauvaise qualité, et donc, qu’il est plus calorique.
    Il ne nous a pas été possible, avec les résultats obtenus, d’observer un effet du prix sur les estimations en calories des chocolats proposés. Que ce soit du chocolat issu de l’agriculture biologique ou pas, le prix n’a pas influencé de manière significative les réponses : elles ont suivi l’effet de halo du label sans le perturber. Nous pouvons supposer alors plusieurs choses.
    Tout d’abord qu’il y aurait un biais dans l’étude à travers les populations que nous avons interrogées. En effet, même si celles-ci sont diverses, elles ont de grandes chances d’être relativement uniformes : des personnes jeunes, lycéennes ou étudiantes… et donc au pouvoir d’achat relativement faible. Ces populations seraient alors potentiellement sensibles à un biais de confirmation (Wason, 1960) qui les rendrait plus enclines à valoriser au même niveau des aliments aux prix très différents afin de justifier leurs choix de consommation. Que l’on ait les moyens ou non de consommer plus cher, il est trop difficile pour une personne de reconnaître une erreur vis-à-vis de ses choix : elle va donc préférer valoriser le chocolat qu’elle a l’habitude d’acheter au même niveau que celui qui lui est inaccessible (ou tout simplement parce qu’elle n’a pas envie de dépenser plus pour ce type de consommation).
    La deuxième explication que l’on pourrait proposer serait basée sur le domaine de la connaissance, valide ou non : les personnes interrogées ont toutes plus ou moins déjà goûté des chocolats chers et peu chers, et n’ont alors pas observé de différences sur leurs aspects gras ou sucrés. Il est aussi possible qu’elles se disent qu’entre ces deux types de produits, la différence ne se fera pas sur cet aspect technique mais plutôt sur des aspects autres, tels que la qualité de la main d’œuvre, le fait que ce soit artisanal ou pas, la qualité des ingrédients utilisés… et non forcément sur des plans plus néfastes (bien que réels) comme le remplacement de certains ingrédients sains par d’autres afin de faire des économies (certains acides gras saturés, l’huile de palme en grande quantité, les sirops de maïs…).
  3. L’hypothèse HO3 n’a pas été validée : l’effet d’interaction entre la présence du label et le prix n’est pas significatif. Le prix n’a donc pas modulé l’effet de halo dû au label. Cela pourrait s’expliquer par le fait que nous avons voulu donner des prix réels à nos chocolats, qui n’étaient donc pas lissés : pour les chocolats chers, le prix de celui labellisé était différent de l’autre. De plus nous n’avons pas pré-testé le matériel en demandant à un panel si les prix que nous considérions comme « chers » l’étaient pour un large groupe. Enfin il est possible que l’effet de halo du label soit si important qu’il ne puisse être impacté par l’effet du prix : les participants à l’étude n’auraient donc pas prêté attention à celui-ci.

Pour conclure sur ce modérateur qui n’a pas eu l’effet escompté, il pourrait être intéressant de répliquer cette expérience de manière directe, mais de façon bien plus large et en diversifiant les populations touchées. Il pourrait être pertinent de se rendre dans des endroits très divers socialement et de comparer les résultats.

V/ Bibliographie

  • Asch, S. E. (1946). Forming impressions of personality. The Journal of Abnormal and Social Psychology, 41(3), p. 258-290. Récupéré de http://psycnet.apa.org/record/1946-04654-001
  • Chandon, P. et Wansink, B. (2007). The biasing health halos of fast-food restaurants health claims: Lower calorie estimates and higher side-dish consumption intention. Journal of Consumer Research, 34(3), p. 301-314. Chicago, IL: The University of Chicago Press.
  • Leuthesser, L., Kohli, C. S. et Harich, K. R. (1995). Brand equity: the halo effect mesure. European Journal of Marketing, 29(4), p. 57-66. MCB University Press Limited.
  • Nisbett, R. E et Wilson, T. D. (1977). The Halo Effect: Evidence for unconscious alteration of judgements. Journal of Personality and Social Psychology, 35(4), p. 250-256. Ann Arbor, MI: University of Michigan.
  • Peterson, R. A., et Jolibert, A. J. (1976). A cross-national investigation of price and brand as determinants of perceived product quality. Journal of Applied Psychology, 61(4), p. 533-536. Récupéré de http://psycnet.apa.org/record/1976-30927-001
  • Rao, A. R. et Monroe, K. B. (1989). The Effect of Price, Brand Name, and Store Name on Buyers’ Perceptions of Product Quality: An Integrative Review. Journal of Marketing Research, 26(3), p. 351-357. Birmingham, AL: American Marketing Association.
  • Schuldt, J. P., Muller, D. et Schwarz, N. (2012). The “fair trade” effect: health halos from social ethics claims. Social Psychological and Personality Science, 3(5), p. 581-589. California: SAGE.
  • Scitovszky, T. (1944). Some Consequences of the Habit of Judging Quality by Price. The Review of Economic Studies, 12(2), p. 100-105. Oxford: Oxford University Press.
  • Wason, P. C. (1960). On the Failure to Eliminate Hypotheses in a Conceptual Task. Quarterly Journal of Experimental Psychology, 12(3), p. 129-140. California: SAGE.
  • Zeithaml, V. A. (1988). Consumer perceptions of price, quality and value: A means-end model and synthesis of evidence. Journal of Marketing, 52(3), p. 2-22. Birmingham, AL: American Marketing Association.