Introduction

Vitres brisées, dégradations diverses, emballages abandonnés ou encore manque de courtoisie, impolitesse ou agressivité sont des exemples d’actes incivils auxquels nous sommes confrontés au quotidien. La notion d’incivilité désigne d’une manière générale un manque de civilité, un oubli des convenances, du savoir-vivre. Ces transgressions des codes sociaux figurent parmi les symptômes majeurs enregistrés à propos de notre société actuelle et, font l’objet de nombreux travaux en sciences sociales. Les transports en commun font partie des lieux où ces situations d’incivilités sont le plus souvent observées. Face à cela, les entreprises de transports publics ont décidé de réagir.

Constat sur les incivilités dans les transports

Le manque de civilité dans les transports est un phénomène récurrent rencontré en France, mais également dans de nombreux pays tels que le Brésil, l’Allemagne, l’Italie, les Etats-Unis et bien d’autres. L’Observatoire des incivilités réalisé par TNS Sofres pour le compte de la RATP nous dévoile les trois types d’incivilités les plus fréquemment rencontrées, ainsi que celles jugées les moins acceptables, tous pays confondus.

Crédits : http://www.rerb-leblog.fr

On remarque que toutes les incivilités énumérées ci-dessus sont synonymes d’une transgression des règles les plus élémentaires de la vie en communauté. La psychologie sociale a justement pour objet d’étude le comportement de l’individu, qui est considéré comme un acteur au sein de la société. Elle se propose de décrire et d’expliquer les multiples aspects de la vie sociale en élaborant des théories à partir de concepts psychologiques comme les sentiments, les attitudes, les affects, les motivations, etc. A noter que ces théories ne peuvent être valides qu’à la condition d’être accréditées par l’observation de terrain ou l’expérimentation en laboratoire.

Les incivilités expliquées par la psychologie sociale

La théorie de la vitre brisée

Une première théorie explique parfaitement l’apparition et le maintien de ces incivilités dans les transports : la théorie de la vitre brisée. Élaborée par le sociologue américain Philip ZIMBARDO en 1969, cette théorie s’appuie sur une expérience menée en temps réel dans les années 1970 sur les comportements de vandalisme. Après avoir retiré préalablement les plaques d’immatriculation, le chercheur décida d’abandonner plusieurs voitures dans le quartier du Bronx et à Palo Alto, et d’observer le devenir de ces voitures. Dans le Bronx, les voitures furent rapidement vandalisées. Mais, à Palo Alto, il fut contraint de vandaliser lui-même quelques voitures pour pouvoir être imité par la suite. De cette expérience, il en déduit le principe fondamental de sa théorie :

Si on laisse une vitre brisée dans un quartier, sans réagir (recherche de l’auteur de la dégradation, réparation de la vitre), très rapidement, les actes d’incivilités se multiplient. Les règles les plus élémentaires de la vie en commun semblent alors pouvoir être ignorées sans conséquence pour ceux qui les bafouent. Cette vitre brisée est donc le préalable à un délabrement du quartier concerné et à une montée de la délinquance.

En 1982, un article publié conjointement par Georges L. KELLING et James Q. WILSON, intitulé « Broken Windows », présente une reformulation de la précédente théorie. Ils proposent une théorie des incivilités et étudient ses implications.

De plus, le contexte de la délinquance en France dans les années 1990 amène Sébastian ROCHE à s’intéresser lui aussi aux incivilités en 1993. Il définit les incivilités comme un « ensemble de nuisances sociales extraordinairement variées qui ne blessent pas physiquement les personnes, mais bousculent les règles élémentaires de la vie sociale qui permettent la confiance ». Toutefois, il souligne le fait que les incivilités sont difficiles à définir. En effet, ces dernières incluent à la fois des comportements gênants non sanctionnés pénalement mais aussi des comportements constituant de véritables infractions.

Ce serait donc l’absence de réaction et de résistance des citoyens aux incivilités commises qui engendreraient un délitement du lien social. Les incivilités contribueraient donc à la désorganisation sociale d’un environnement et créeraient un climat propice au développement de la délinquance.

Les comportements contre-normatifs

La définition même des incivilités nous amène à les considérer comme des comportements contre-normatifs. Peggy CHEKROUN, dans un article intitulé Le contrôle social : les réactions à la déviance et leurs déterminants (2008), définit la norme sociale comme les « règles, standards établis dans chaque groupe ou unité sociale et qui décrivent les comportements pouvant ou non être mis en œuvre dans un contexte donné ». 

La norme sociale serait l’unité fondamentale qui prescrit les manières appropriées de penser, d’agir, et qui proscrit les manières inappropriées. Les individus d’un groupe social vont donc suivre ces normes prescrites par le groupe. Cependant, il arrive que certains individus adoptent des comportements qui ne respectent pas ces normes. C’est ce qu’on appelle des comportements contre-normatifs.

Le contrôle social

Face à ces comportements déviants, les individus du groupe social considéré vont avoir la possibilité d’exprimer leur désaccord concernant le comportement contre-normatif de l’individu en question. Cette réaction s’appelle le contrôle social. Le contrôle social est « toute réaction informelle que peut avoir un individu afin de manifester sa désapprobation envers le comportement d’un tiers qui s’écarte d’une norme » (CHEKROUN et BRAUER, 2002).

Toutefois, même si les incivilités sont considérées comme des actions ou paroles contre normatives, certaines sont si ancrées dans notre quotidien que les individus n’y prêtent plus attention. C’est le cas particulièrement dans les transports en commun. En effet, mettre ses pieds sur les sièges, prendre deux sièges lorsque l’on est seul et que le train est bondé, ou encore écouter fort de la musique sont des situations que l’on rencontre quotidiennement et auxquelles on ne fait guère attention, même si parfois cela peut engendrer un sentiment d’agacement.

Dans ces situations aversives, l’on peut supposer l’apparition du contrôle social, puisque comme définit précédemment, les individus sont censés réagir à ces types de comportements. Or, sauf quelques exceptions, les individus n’exercent aucun contrôle social envers les individus transgressifs.

Quelles solutions pour lutter efficacement contre ces incivilités dans les transports ?

Les entreprises de transports publics, principalement la RATP et la SNCF, ont prêté une attention particulière à ces incivilités rencontrées sur leurs réseaux, avec la mise en place d’actions diverses.

Les campagnes de communication

Depuis 1997, la RATP sensibilise ses voyageurs au travers de campagnes comportementales sur le thème des incivilités dans les transports. La dernière intitulée « Restons civils sur toute la ligne » illustre, par le biais de visuels humoristiques et slogans inspirés des fables de La Fontaine, les incivilités les plus fréquentes. Un moyen pertinent de rappeler implicitement aux usagers les règles de savoir-vivre ensemble.

Crédits : http://www.lefigaro.fr

Depuis 2011, La SNCF met en place des actions diverses pour lutter contre ces incivilités dans les transports. Ses campagnes de communication ont pour but de faire prendre conscience à ses usagers que certains comportements peuvent avoir un impact fort sur la régularité des trains. Cette prise de conscience passe par la mise en scène de véritables cheminots qui font des voyageurs des alliés responsables. Une direction dédiée à la lutte contre les incivilités a également vu le jour courant 2012.

Crédits : http://www.leparisien.fr

Outils de mesure qualitatifs et quantitatifs

Pour pouvoir lutter efficacement contre ces incivilités, il est indispensable de les connaitre et de pouvoir les mesurer. Les entreprises concernées doivent donc procéder à une remontée d’informations via des outils quantitatifs et qualitatifs.

Par exemple, la SNCF récupère des informations via des mains courantes renseignées par des agents de l’entreprise qui apportent des éléments sur la date et le lieu du fait, les motifs de l’interpellation, les identités des parties, etc.

De plus, une application mobile a récemment été mise en service permettant de signaler en moins de cinq minutes un acte de malveillance observé ou subi. Cette application permettrait aux agents de recenser les actes malveillants afin de mieux lutter contre.

De son côté, les différentes éditions de l’Observatoire des incivilités réalisées par TNS Sofres pour le compte de la RATP permettent de recueillir la perception des incivilités des usagers sur le réseau. Ce recueil se fait via des questionnaires qui permettent de mesurer qualitativement la fréquence de ces actes incivils.

Il est donc nécessaire pour les entreprises de transports publics de se munir d’outils de mesures spécifiques pour appréhender au mieux ces actes rencontrés quotidiennement sur leurs réseaux, et ainsi, adapter leur communication. Cependant, en parallèle de ces actions, il est primordial pour les équipes d’être présentes sur le terrain afin d’assurer une relation privilégiée avec les usagers : renseignements, aide au voyage, service d’accompagnement en cas de problèmes, etc.

Conclusion

Les incivilités dans les transports font partie des préoccupations actuelles majeures des entreprises de transport public. De même, plusieurs chercheurs en psychologie sociale se sont intéressés à cette problématique afin d’y apporter des explications scientifiques. Leurs conclusions ont montré que ce sont les individus eux-mêmes qui sont à l’origine de cette transgression des codes sociaux.

La théorie de la vitre brisée, ainsi que les notions de comportements contre-normatifs et de contrôle social montrent que ces actes incivils sont complexes à étudier et à appréhender car, malgré le caractère condamnable de certains, la plupart relève généralement davantage de la gêne. L’expérience de ZIMBARDO met bien en évidence le fait que ce sont les individus, et eux seuls, qui provoquent et amènent ces actes d’incivilités à perdurer.

Sources :
  • ORAGES D’ACIER: La théorie de la vitre brisée (broken window theory) et ses suites « http://www.oragesdacier.info/2012/10/la-theorie-de-la-vitre-brisee-broken.html »
  • Observatoire des incivilités dans les transports en commun (mars 2015) | TNS Sofres « http://www.tns-sofres.com/etudes-et-points-de-vue/observatoire-des-incivilites-dans-les-transports-en-commun-mars-2015 »
  • Persée : Portail de revues en sciences humaines et sociales « http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_2000_num_50_3_395480 » e
  • Incivilités, violence et citoyenneté  – Une citoyenneté en crise Découverte des institutions – Repères – vie-publique.fr « http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/citoyen/enjeux/crise-citoyennete/incivilites-violence-citoyennete.html »
  • www.psychologiesociale.eu/files/reps3.chekroun.pdf « http://www.psychologiesociale.eu/files/reps3.chekroun.pdf » F
  • Agir contre les incivilités | SNCF « http://www.sncf.com/fr/rse/agir-contre-les-incivilites »
  • ratp.fr – Campagnes civilité « http://www.ratp.fr/fr/ratp/r_58272/campagnes-civilite/ »

————————-
Auteure de ce billet 

Manon Fourmont10641063_322007881257308_4313441632907147504_n
Chargée de Communication et Marketing (stagiaire) chez SpotPink pour une durée de 2 mois. Actuellement en Master 1 de Psychologie Sociale Appliquée à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, je suis particulièrement intéressée par la conception et le développement de stratégies de communication dans le but de promouvoir l’image et la marque d’une entreprise. De nature sociable et curieuse, je suis passionnée par l’équitation et la danse. Vous pouvez me contacter via