Carte de visite numérique de Caro B.J’ai été sollicitée par un journaliste en charge du chapitre numérique d’un magazine à parution annuelle. Il souhaitait recueillir un éclairage psychologique et une expertise sur 4 profils que l’on trouve sur les réseaux sociaux : le mytho, le troll, Le hater et le stalker. Voici ci-dessous ma contribution livrée.

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Il s’agit dans cet article de santé mentale, et aussi, de nouveaux comportements mis en œuvre par des plus jeunes au plus âgés. Le numérique transforme les cognitions et donc les comportements (professionnels et personnels). Plus rien ne sera jamais comme avant. Nous n’apprenons plus, nous ne mémorisons plus et nous n’interagissons plus comme avant

Avec nos activités numériques, la structure et le fonctionnement de notre cerveau se transformeront immanquablement parce qu’avec elles, nous mobilisons nos fonctions d’une manière très spécifique. En lisant ou en interagissant à travers des écrans, nous sur-sollicitons nos lobes occipitaux, le lobe pariétal, le lobe temporal, tandis que le lobe frontal est moins impliqué. Une étude menée par l’Ecole polytechnique fédérale et l’université de Zurich, l’utilisation des smartphones crée une empreinte spécifique dans la zone du cerveau dédiée au toucher (sollicitation du pouce et de l’index parallèlement aux nerfs visuels). Ceci pourrait engendrer une plasticité du cortex somatosensoriel.

Le numérique a sans doute également des effets significatifs sur le fonctionnement de l‘amygdale (dont la fonction est notamment de décoder les stimuli qui pourraient être menaçants pour l’organisme), dans laquelle l’hippocampe est situé. Ce dernier est très impliqué dans la mémorisation et l’apprentissage.

Assis ou installés devant des écrans, nous avons découvert de nouveaux modes d’interaction avec les autres. En temps réel, l’instantanéité encourage l’impulsivité et, le caractère virtuel des échanges fait disparaître les frontières perso/pro, privées/publiques, géographiques ou encore temporelles. De nouveaux comportements émergentLa toile peut désinhiber certains, rendre agressifs ceux qui supportent mal une nouvelle forme de frustration, contraindre ou motiver des comportements ayant pour vocation de combler une faible estime ou soi, ou encore par exemple, susciter le besoin de diminuer l’angoisse générée par une cyberdépendance.

Le haterLe hater

Le hater est une personne acrimonieuse qui est certainement la victime des biais de jugement tels que ceux de la tâche aveugle, de l’égocentrisme et de l’immunité à l’erreur. Moquer et mépriser publiquement autrui (anonymement ou non) lui permet de se sentir exister et, peut correspondre à une tentative d’affirmation de soi et de sa supériorité fantasmée. Souffrant d’anhédonie, le hater tente de partager avec d’autres son défaut d’expériences émotionnelles positives. L’agression écrite et verbale est un passage à l’acte qui vise à rompre avec une vie vécue comme ennuyeuse ; alimenter des relations interpersonnelles conflictuelles permet au hater d’animer sa vie pour la rendre moins commune et plus intéressante.

Le mytho mytho

Il est à la portée de tous de laisser des traces numériques sur la toile et les réseaux sociaux pour construire un faisceau d’indices factices de la vie que l’on rêverait d’avoir. Le mytho s’installe progressivement dans un mensonge compulsif qui devient pathologique parce que ses conséquences sont vouées à creuser d’une part, l’écart entre la vie réelle de l’individu et le fantasme de sa vie idéale et d’autre part, l’écart entre ce que la personne voudrait être et ce qui elle est réellement. De tels comportements sont le reflet de traits de personnalité hystériques ; la mythomanie est souvent associée à l’histrionisme et, les comportements de séduction conduisent parfois à une érotisation des rapports sociaux. Ces comportements peuvent aussi être le signe d’une formation réactionnelle d’une timidité ou introversion. Ils sont le reflet d’une certaine immaturité et dépendance affective et ils visent alors à réduire l’anxiété liée à la peur du jugement social.

Le stalker Le stalker

Le stalker qui se comporte comme un voyeur numérique peut, selon les cas, posséder des traits de personnalités pervers ou paranoïques. Ses troubles du comportement peuvent en effet laisser penser que le nouvel érotomane numérique est né. Sa compulsion obsessionnelle à espionner les nouvelles actualités de sa cible n’est d’ailleurs pas incompatible avec les 2 types de personnalités qui viennent d’être citées.

Le stalker peut être soit, un pervers narcissique, soit, simplement un ex conjoint blessé dans son orgueil, soit encore, un érotomane en phase d’observation qui épie sa proie pour tenter d’y déceler la preuve que celle-ci pense à lui, agit pour lui, lui fait un signe conscient, sublimé et directement adressé. S’il s’agit d’une personnalité narcissique, il se peut que la personne éprouve des difficultés à gérer l’abandon ou la séparation et que ces dernières entrainent une souffrance émotionnelle importante. Ses comportements ont alors pour vocation de faire diminuer l’angoisse et s’apparentent à ce que l’on appelle une tentative de réparation (très certainement vouée à l’échec et assortie du déni de ce fait).

Le trollLe troll 

Si le troll sévit de façon anonyme c’est sans doute soit parce qu’il n’aimerait pas assumer la responsabilité de ses actes de malveillance, ses accusations et/ou ses insultes. C’est aussi sans doute pour compenser le défaut de liberté dont il souffre dans son groupe d’appartenance sociale de la vie réelle : son statut, sa fonction ou ses caractéristiques physiques ne lui permettent pas de s’exprimer librement en son nom. Les motivations du troll sont parfois en effet de dénoncer sur la toile ce qu’il ne peut pas exprimer dans la vraie vie.

Enfin, si le troll agit généralement en bande c’est sans doute pour tenter de recoller les morceaux fractionnés et éparpillés de son être qui peut éprouver, selon des degrés variables, soit une dissonance cognitive insupportable soit, une véritable dissociation de la personnalité. En agissant en horde dans un objectif commun (même malveillant), le troll se rassure sur le caractère fondé de ses motivations et s’épargne le désagrément d’assumer seul ses déviances. Si cela tourne mal, il pourra toujours se déculpabiliser et se déresponsabiliser en imputant à ses compères, la part de responsabilité qui leur revient (quel que soit celui qui a été à l’origine de la succession des événements qui auront pu avoir une issue dramatique).

Compte tenu de nos capacités d’adaptation et de la plasticité de notre cerveau, nos comportements et nos modes de raisonnement continueront vraisemblablement à se modifier au gré de l’intensification de l’usage du numérique. Cela sera-t-il, pour le meilleur et/ou pour le pire ?

Pour aller plus loin :

  • ScienceDirect – Two online studies (total N = 1215), respondents completed personality inventories and a survey of their Internet commenting styles « http://ow.ly/IjcP305rCR3 »