Interview de Thomas Gaon par  Caro B.

Dans le registre de la psychopathologie de la vie 2.0 et bientôt de celle de nos vies 3.0, ce billet propose l’interview d’un spécialiste des conduites addictives.

Thomas Gaon1 est psychologue clinicien diplômé en psychopathologie clinique et en ethnométhodologie (Paris VII). Il travaille en addictologie. Ses recherches portent principalement sur les impacts psychosociaux des jeux vidéos en ligne.

Pouvez-vous définir la symptomatologie de l’addiction ?

Selon M. D. Griffiths2, les symptômes d’une conduite addictive sont :

  • La centration. La conduite a pris une place centrale/prioritaire dans la vie de la personne.
  • La modification de l’humeur. Le comportement est réalisé précisément pour soulager un malaise ou se procurer du plaisir.
  • Le syndrome de sevrage ou manque. En cas d’arrêt ou de réduction soudaine, des sensations déplaisantes émergent telles que irritabilité, tremblements, anxiété, etc.
  • La tolérance. La consommation doit être augmentée afin d’atteindre le même état.
  • Le conflit. Le comportement provoque des conflits avec : Les autres activités (sport, travail, loisirs); les personnes  (famille, amis, collègues) ; la personne elle-même (conflit intérieur, cycle de pertes de contrôle puis de reproches).
  • La rechute. Forte probabilité de revenir à  d’anciens schémas de comportements après une période d’abstinence ou de contrôle de la conduite.

Où l’addiction trouve-t-elle ses origines ?

Il y a plusieurs théories au sujet des causes de l’addiction en fonction des disciplines convoquées, mais la plupart reconnaissent la participation de plusieurs facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Elle est, dans tous les cas, une forme de stratégie adaptative à court-terme à un déséquilibre que celui-ci soit acquis, chronique ou encore d’origine traumatique.

La conduite permet alors à l’individu de pouvoir avoir du plaisir ou tout simplement de trouver un point d’équilibre dans son fonctionnement biopsychosocial.

Mais le recours à cet objet externe ou à ce comportement envahissent progressivement l’individu et le rendent dépendant. Sans l’objet ou la pratique du comportement, la personne souffre.

A quel moment le besoin de consulter émerge-t-il chez les patients qui vous consultent ?

Les adultes souhaitent consulter quand d’une part, la conduite leur pose véritablement un problème, c’est à dire quand il risque de perdre ou ont perdu quelque chose à laquelle ils tiennent (leur conjoint, emploi ou liberté) et que d’autre part deux autres éléments sont réunis :

  • Premièrement que  la conduite soit reconnue comme responsable du problème.
  • Deuxièmement que la personne ait l’espoir d’un mieux s’il arrête ou réduit sa conduite.

Quelles techniques utilisez-vous auprès des personnes qui vous consultent pour traiter leurs symptômes ?

Cela dépend de la personne, non seulement de sa conduite addictive et de ses capacités au moment de l’intervention, mais aussi de ce qui lui convient.

Nous avons un éventail thérapeutique allant de l’entretien motivationnel à la psychothérapie psychodynamique en passant par les groupes de parole. En parallèle, une prise en charge médicale et sociale est souvent nécessaire.

Selon vous l’addiction peut-elle faire l’objet d’une prévention ? Si oui, quels conseils pouvez-vous éventuellement formuler ?

Oui, la prévention est nécessaire mais je crois qu’elle doit prendre des formes nouvelles et ne pas se cantonner à de l’information qui est noyée dans le volume des échanges actuels.

Je crois que des ateliers, des réflexions partagées et des initiatives collectives sont plus efficaces, car il s’agit avant tout d’apprendre ou de retrouver, des bonnes habitudes ou des normes comportementales qui ne sont plus à la seule charge de l’individu.

En d’autres termes, l’autonomie la maîtrise de sa conduite émerge à partir de l’hétéronomie, c’est à dire la loi ou la règle des autres. Nous sommes donc des exemples, des modèles et donc éventuellement des soutiens pour les autres.

Avez-vous déjà entendu parler de la nomophobie ? Si oui, quelle analyse en faites-vous (et éventuellement quel lien avec feriez-vous entre un usage hyper-connecté d’Internet, des médias sociaux, des appareils mobiles et la survenance de troubles addictifs) ?

La peur de ne plus être connecté peut-être analysé selon deux niveaux solidaires:

  • celui des interactions,
  • et celui de l’appartenance.

Les personnes fortement connectées s’habituent à un volume d’échanges ou de stimulation très élevés dans le maintien actif du lien à d’autres personnes ou au flux d’information toujours plus rapide.

Ces personnes deviennent dépendantes de la réponse d’autrui ou de l’actualisation des informations et perdent l’habitude de l’attente, du vide, de la passivité ou de la frustration.

La diminution du volume d’échange est ressentie négativement comme un isolement, une angoisse de dégradation du lien, ou la peur de manquer une information. On sait aujourd’hui que l’accessibilité d’un comportement et la rapidité de la satisfaction sont des facteurs addictogènes majeurs, parce qu’ils satisfont l’économie psychique et libidinale mais au risque de la dérégler ou de la court-circuiter.

Les TIC d’aujourd’hui sont justement plutôt vantées et vendues parce qu’elles possèdent ces possibilités d’hyper-connectivité. Rappelons-nous que ce n’est pas parce que c’est possible techniquement que c’est souhaitable. L’humain doit rester maître de la technique !

Et vous, lecteurs, en tant que professionnel(le) RH avez-vous déjà eu à faire à ce type de problème en entreprise ? Que vous évoque ce risque potentiel, spécifique et relativement récent ?

Cet article a été initialement livré à « http://www.spotpink.com/2015/04/06/comprendre-laddiction-qui-nous-guette-tous/www.rhinfo.com » www.rhinfo.com et publié sur ce site en 2013.
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